Au crépuscule. [PV Arwen]

"Je..."

Vraiment très constructif Arwen ! Elle était pourtant à cours de mot, il venait de s'excuser encore une fois. Cela avait l'air de cogiter dans sa tête, comme si lui-même n'avait pas su ce qu'il faisait à cet instant.

"Tu veux peut être que je te laisse... Heu..."

Elle rougissait furieusement, comme si c'était son premier baiser ou quelque chose du genre. Elle avait honte d'elle-même à cet instant précis, quelle pâle image de jeune fille accomplie elle donnait franchement ! Elle se remit en position assise et entreprit de chasser le moindre brin d'herbe de ses cheveux.

"Je... Peut-être que tu en avais juste envie, des fois les gens ne s'embrassent pas par amour mais juste parce qu'ils se plaisent, enfin je crois."

Tout était embrouillé dans sa tête, mais n'était-ce pas pour cela qu'elle avait embrassée Seika ? Parce qu'elle en avait envie ? Enfin, même si c'était lui qui avait commencé elle avait quand même rendu son baiser alors... Alors quoi ? Y aurait-il une suite ou devrait-elle y penser pour au moins un mois puis tout mettre aux oubliettes ? Elle soupira, histoire d'essayer de faire fuir le feu qu'elle avait aux joues, et cette sensation chaude au fond de son ventre.

"J'en sais rien, mais en tout cas... Cela m'aura ouvert les yeux pour certaines choses."

NON !

Le mot avait fusé, comme guidé par sa propre volonté, hors de la bouche de Seika. Il ne voulait pas. Ce n'était pas tant le départ d'Arwen, qu'il savait bien pouvoir revoir, qui le faisait paniquer, mais la perspective d'être à nouveau seul. Seul, solitude, deux mots qui avaient réduit son existence à un quasi néant. Il ne voulait plus être seul, plus jamais. Et si il pouvait rester près d'Arwen, en particulier, cela l'arrangeait beaucoup. Sa présence le guérissait de cette maladie qu'il ne connaissait pas. Il ne savait même pas si c'en était une, mais c'était ainsi qu'il qualifiait cet état qu'il ne comprenait pas. Il reprit, plus doucement, reprenant le contrôle sur ses gestes, réprimant cette avancée du buste qu'il venait d'avoir en la direction de la jeune fille.

Ne me laisse pas... S'il te plaît.

Il avait un regard d'enfant apeuré, comme si sa vie dépendait de la présence ou du départ d'Arwen. Et c'était bel et bien la sensation qu'il avait. Il replia ses genoux contre lui, honteux, mit ses bras autour et sa tête dans ses bras pour cacher les quelques larmes qui s'en échappaient.

Il ressentait quelque chose de bizarre, comme à la fois un poids et un vide dans son coeur, un poids qu'il voulait alourdir et un vide qu'il voulait remplir. Il savait comment le faire. Quelques minutes auparavant, il avait été un être accompli, un être entier, durant le baiser qu'il avait échangé avec Arwen. D'ailleurs... une question s'imposa à lui. Avait-elle accepté et rendu son baiser par pure pitié, ou bien y avait-il quelque chose c'autre ?

Son coeur s'accéléra. Ce n'était sans doute que de la pitié. N'avait-elle pas quelqu'un ? Elle devait bien l'aimer, pour être avec lui. Elle ne pouvait pas être de ces filles qui sont avec quelqu'un comme ça, sans aimer. Elle DEVAIT ressentir quelque chose pour lui. Et pour lui, Seika, elle ne ressentait sans doute que de la pitié. Elle avait sans doute l'impression d'avoir accompli une bonne action, et c'était pour ça qu'elle ne regrettait pas.

Il était perdu dans ses pensées négatives, et n'entendit pas ce que disait Arwen. Il était tellement absorbé, qu'il ne se rendait pas compte que, de temps à autres, un sanglot venait secouer son corps. Il pensait cacher sa peine et son désarroi à merveille, sous la couverture de la simple fatigue.

"Je..."

Son souffle se bloqua une énième fois dans sa gorge, et elle soupira en quête de quelque chose d'intelligible à dire. Arwen n'était décidément pas douée pour les relations avec les autres ! Elle se fustigeait intérieurement, elle n'avait pas voulu que Seika se renferme sur lui-même à cause d'elle. Un pas en avant, trois pas en arrière !

"D'accord, je ne te laisserai pas."

Elle posa sa main dans la nuque de Seika et caressa légèrement sa peau avant de dériver dans ses cheveux. Elle essaya de le forcer à se déplier, membres par membres, essayant de déblayer son visage à coup de patience et de douceur. Elle y parvint, et ce qu'elle vit lui fit mal au coeur. Elle se sentait mal pour lui, un brin coupable d'avoir été maladroite. Elle n'avait pas du tout voulu qu'il en vienne à pleurer à cause d'elle.

"Pourquoi pleures-tu Seika ?" demanda-t-elle en essuyant furtivement une de ses larmes.

"Est-ce que... Est-ce que c'est moi qui t'ai fait du mal ?" demanda-t-elle hésitante en enlevant sa main pour ne plus le toucher.

Un frisson le parcourut et ses yeux cessèrent de produire des larmes. Il avait exposé sa nuque, cet endroit si sensible, à la vue de la jeune fille. Elle aurait pu le tuer, si elle l'avait voulu. Il fallait qu'il fasse plus attention. Mais au lieu de cela, elle avait posé sa main, sa douce main, délicatement, avec toute la douceur du monde. Une vague de chaleur s'était répandue en lui en même temps que ce frisson, ce qui, sur le coup, ne lui parut pas illogique.

Ce contact, il était magique. Peut-être autant que le baiser échangé auparavant. L'air vibrait doucement autour d'eux, il était caressant. Il se prêtait à la douceur d'Arwen, espérant que cet instant durât toujours. Il se laissa faire, même quand il fallut montrer son visage où perlaient des larmes. La honte ? La fierté ? L'orgueil ? Tout ça n'existait plus. Il passait un moment merveilleux, sublimé par la tristesse qui ne l'avait pas quitté, et l'angoisse que tout s'arrêtât. Il ne voulait qu'une chose, fixer cet instant, le graver, l'ancrer en lui à jamais.

Pourquoi pleurait-il ? Comment exprimer cela avec des mots ? Il pleurait, certes. Il souffrait d'ailleurs, mais ce n'était pas de la faute d'Arwen. Pourtant, elle était plus ou moins directement la cause de ses larmes. Que dire ? Arwen, posant une seconde question, retira sa main, ce qui eut pour effet le retour des petites perles salées.

Non. Ce n'est pas de ta faute. Je ne sais pas vraiment comment exprimer cela. C'est la toute première fois.

Sa voix était à moitié brisée par ces larmes qu'il ne contrôlait pas. Il exposait sa faiblesse, lui qui avait survécu à tout ce qui s'tait mis en travers de son chemin, qui avait vaincu tant d'ennemis à l'aide de ses pouvoirs qu'il maîtrisait parfaitement en combat mais qui n'en faisaient qu'à leur tête quand il ressentait une émotion forte.

Je... Tu... Le vide. Il a été comblé.

Seika espéra qu'il avait été clair, il avait perdu toute faculté d'expression dans cette approche de ce qu'il se risquait à appeler en son for intérieur une "approche éphémère du bonheur". Il se risqua à lever les yeux vers Arwen.

La toute première fois ? Elle ne comprenait pas. Voulait-il dire qu'il était inexpérimenté et que c'était pour cela qu'il se sentait maladroit et émotif ? Ou y avait-il autre chose qui était passé sous les yeux d'Arwen sans qu'elle sache quoi ? Il lui parlait d'un vide, mais elle ignorait s'il parlait de sa solitude passée, ou s'il parlait tout simplement d'un grand manque affectif. Ils n'avaient pas vécu les mêmes choses, Arwen comparé à tous ceux qu'elle voyait en vision se trouvait bien mieux que quiconque.

"Le vide ?" demanda-t-elle à voix haute.

Elle n'arrivait toujours pas à faire pencher une réponse plus d'un côté ou de l'autre, et en même temps elle avait du scrupule à demander des réponses à Seika qui, au vu de sa situation, semblait bien désemparé par ce qu'il se passait. C'était à croire qu'une barrière s'était brisée en lui, et que maintenant il rattrapait le temps perdu en lamentations. Il exprimait la douleur de sa vie, mais en même temps Arwen était là et cela le réconfortait. Elle ne savait pas trop sur quel pied danser, ce qui la mettait mal à l'aise. Elle n'avait pas l'habitude de réconforter des garçons, en général c'étaient plutôt les garçons qui la réconfortaient.

"Tu sais Seika, tu peux prendre le temps que tu veux pour t'expliquer plus clairement, il n'y a pas le feu." expliqua-t-elle en lui souriant d'une manière encourageante.

"Et puis arrête de pleurer, je ne vais pas te manger !" lança-t-elle en lui faisant un clin d'oeil.

Seika se ressaisit instantanément. Cela suffisait, il ne s'était que trop montré, lui ainsi que ses faiblesses. Il devait être fort, comme il avait été fort pour survivre jusque là. Il se leva, et le jeune homme de deux mètres cinq se mit à arpenter le lieu en réfléchissant. Pour un peu, on aurait pu croire qu'il avait oublié la présence d'Arwen. Mais non, pas du tout. Il savait très bien qu'elle était là, puisqu'il cherchait à trouver une réponse convenable, qui exprimerait ce qu'il pensait. C'était assez difficile. Mettre des mots sur son ressenti ne lui était pas arrivé souvent, et il n'avait jamais connu cet état.

Le vide... C'est la première fois que je le ressens, à vrai dire.

Il n'avais pas cessé de marcher, regardant dans le vague, trébuchant parfois lorsque le terrain était inégal, sans jamais tomber, toutefois. De nouveau, il cherchait ses mots, se perdant quand il commençait à les retrouver, s'emmêlant les pinceaux dans des explications dont le sens était souvent, selon lui, douteux. Ce n'était pourtant pas bien dur, d'aligner quelques mots, si ? Eh bien, si. Seika ramait à contre courant sur le fil de ses pensées, cherchant à rejoindre ce but ultime : la phrase claire qui exprimerait l'intégralité de son ressenti.

Je me suis rendu compte qu'il était là quand il a disparu, pour revenir ensuite...

Cela ne suffisait pas, il n'arrivait pas à exprimer de manière construite cette sensation. C'était pourtant simple, ce baiser, puis ce simple contact, l'avaient conduit à une sorte de réalisation de son être, comme si toutes les potentialités de ce grand corps s'étaient retrouvées acquises, au summum de ce qu'elles pouvaient être. Un bien être s'était alors emparé de Seika, rendant bénéfique ce qui ne l'était pas. Comment exprimer cela ?

Je ne comprends pas...

Il s'arrêta devant Arwen qu'il regarda pensivement durant un moment. Puis il tendit une gigantesque main vers la jeune fille. Ce geste, il lui proposait de se relever avec son aide, était empli d'une douceur infinie, pourtant encore trop brute aux yeux du jeune homme.

D'abord il expliquait que c'était quelque chose qu'il ressentait pour la première fois, ce qui lui paraissait étrange, mais elle décida de le laisser finir. En suite il luiexpliqua que ce vide avait toujours été là, sans qu'ils ne s'en rende compte, et puis aujourd'hui ce fut lorsque son vide disparut, fut comblé, qu'il se rendit compte de son existence. Ce qui en soit était assez compliqué pour quelqu'un d'autre à comprendre, mais pas pour quelqu'un qui le vivait. Quant à Arwen, elle comprit assez vite ce qui touchait Seika, ayant vu ses pires souvenirs et voyant comment il avait été lors de leur rencontre, elle se rendit compte qu'elle était sûrement la première fille qu'il embrassait, mais qu'elle était aussi la première personne en qui il mettait sa confiance.

Sachant qu'Arwen était tarée sur les bords mais pas sadique, il fallait dire les choses comme elles étaient, ses visions étaient flippantes ! Elle se rendit compte que le jeune homme, plutôt très très grand par rapport à elle, devait être perdu dans tant de bien être. Il finit par lui tendre la main afin de l'aider à se relever, main qu'elle accepta avec reconnaissance pour enfin se retrouver debout près de lui, toujours cette main dans la sienne. Elle était obligée de lever la tête pour le regarder, il devait avoir au moins une ou deux têtes de plus qu'elle !

"J'ai compris ce que tu essayais de dire, ne t'en fais pas." assura-t-elle en lui souriant.

Elle commença à avoir mal à la tête, d'un de ces maux de tête qui annonçaient une vision. Et si son don de bouclier arrivait à en parer certaines, il lui arrivait souvent de voir des choses, ces choses qu'elle n'aurait jamais dû voir. Elle lâcha la main de Seika et retomba à terre, ses mains sur ses tempes, ses yeux commençaient à se voiler pour enfin devenir presque totalement blanc. La vision allait commencer...

Seika était un peu perdu. Lui-même ne comprenait pas ce dont il parlait, mais Arwen, la belle et douce Arwen, dont la petite main, au chaud dans sa grosse paluche, lui donnait des frissons dans tout le corps, affirmait le comprendre. Il avait envie de l'attirer à lui, de la serrer dans ses bras. Il voulait mettre ses immenses bras à son service, elle qui paraissait si petite à ses côtés. Même si tout le monde paraissait petit à ses côtés... Elle en paraissait fragile, il voulait la rassurer, la protéger, lui qui n'était pas capable de se protéger lui-même...

Le jeune homme regardait dans le vide, évitant soigneusement le regard d'Arwen, il était bien assez rouge comme ça, quand les doigts de cette dernière lui glissèrent de la main, lui effleurant la paume, lui arrachant un frisson qui lui parcourut tout le corps. Néanmoins, la chaleur ayant quitté sa main, Seika se sentit empli d'une étrange sensation. Il voulait que cela continue. Il baissa les yeux vers Arwen, et ce qu'il vit le fit redescendre de son petit nuage.

Au sol, sa robe plissée à même l'herbe, les mains sur les tempes, Arwen donnait l'impression de lutter. En tout cas, une chose était sûre, elle souffrait. Le jeune homme avait sa petite idée quant à la cause de ce mal, et se savait bien impuissant. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était être là...

Il s'agenouilla près d'Arwen et la prit dans ses bras, la tête de la jeune fille reposait à présent contre son coeur, ses jambes sur les genoux du jeune homme qui la serrait contre lui tout en lui caressant les cheveux et en murmurant des paroles douces afin d'avoir un impact sur son cerveau. Elle était brûlante, à tel point que c'en était alarmant. Il s'empressa de ralentir la vitesse de ses molécules, histoire que son corps ne chauffe pas trop.

Je suis là, près de toi, tu n'es pas seule. Je t'accompagne. Où que tu ailles, je suis là, avec toi. Laisse-moi partager ce que tu ressens, que ce soit bon ou mauvais. Laisse-moi te soulager d'un peu de ta souffrance.

Il lui prit une main, et l'embrassa doucement. Il aurait donné n'importe quoi pour lui enlever cette douleur qu'elle avait l'air de trop bien connaître.

Arwen se sentit être bougée, mais elle n'avait conscience de rien à part de l'environnement de sa vision. Ses visions étaient de plus en plus réalistes, si auparavant cela ressemblait à de mauvais cauchemars, plus récemment c'était comme vivre un film à sensations de l'intérieur, quoi qu'elle avait aussi droit aux films d'horreur, plus réels que tout effet spécial.

"... tu n'es pas seule..."

Elle entendait comme de la friture sur les ondes ! Elle ne savait pas si c'était une vision qui la faisait entendre ce qu'on disait. Non, ce n'était pas possible... Un prénom lui vint à l'esprit mais fut vite chasser. Elle devait faire quelque chose, cette chose qu'elle faisait tout le temps lorsqu'elle avait une vision. Si elle y allait au toucher, car elle ne pouvait rien voir de ce qu'était son corps, elle finit par trouver son petit carnet à horreurs et son crayon à papier.

"...laisse-moi partager ce que tu ressens..."

Mais elle en était incapable, c'étaient des choses qui se gardaient pour soi, et Seika avait vécu sa part d'horreur lui-même sans qu'elle n'ajoutât le poids du monde sur ses épaules. Il était déjà suffisamment instable ! De toute manière, elle n'avait pas le don de télépathie, donc elle ne pouvait lui communiquer quoi que ce fut.

Elle était dans une file de personnes qui étaient habillés de leurs habits de tous les jours. Derrière, il y avait une espèce de gros tas accumulant des valises et des affaires encombrantes. Tout autour d'elle, on sentait la frayeur et l'horreur. Elle n'osait même pas lever les yeux pour voir devant la femme devant elle. Pourtant elle avait l'intuition qu'autour d'elle, on criait, on interpellait. Elle avait mal au coeur, se sentait prise de paralysie. En passant sous une espèce d'arche, elle put lire clairement l'insigne de l'endroit où elle se trouvait : Auschwitz. Comment n'y avait-elle pas pensée avant ? En regardant sur le côté, elle vit que les hommes réunis en file portaient tous un écusson représentant une étoile floue, d'autres un triangle rose et encore d'autres insignes qu'elle ne reconnut pas. Puis quelque chose attira son attention de l'autre côté, une jeune enfant brune, tenant sa poupée dans ses bras regardait les gens s'engouffrer dans ce qui allait être une voie sans retour. Elle lui fit un signe : un petit "chut" avec son doigt devant sa bouche. Puis elle s'enfuit à travers les bois tandis que Arwen continuait sa route, une route de plus en plus floue, qui se noircissait... D'un coup, une odeur de chaire brûlée lui donna la nausée, des cris de femmes et d'enfants se firent insoutenables. Elle était là, regardant par un hublot dans une de ces chambres de la mort, voir les femmes essayer de protéger leur enfants d'une main invisible.

Arwen se redressa en sursaut, le souffle court, les larmes dévalant ses joues. Sur son calepin était dessiné le portrait de la petite fille brune, et quelques esquisses qu'elle avait pu faire à la va-vite lorsque sa vision était plus lente. Elle sentit quelques sanglots vouloir passer ses lèvres mais les retint, c'était une part de l'histoire de l'humanité qui n'était pas glorieuse, loin de là, mais ce n'était même pas le pire qu'elle eut vu dans sa courte existence. Il lui fallut un peu de temps pour reconnaître où elle était, ce qu'elle faisait, sursautant au moindre bruit, au moindre contact avant de pouvoir mettre des noms sur des sons, des prénoms sur des visages, et de se détendre légèrement.

Les mains d'Arwen lui échappèrent, et Seika laissa faire. Si elle faisait un mouvement, c'était sans doute qu'elle en ressentait le besoin, et il ne fallait pas réprimer ce genre de pulsions, surtout lorsqu'il s'agissait de pouvoirs. Enfin, c'est ce qu'il imaginait, et il en eut bientôt la confirmation. Les mains de la jeune fille tenaient à présent un carnet et un crayon, et elle commença à dessiner.

Tout d'abord, ce fut un croquis d'une sorte de file d'attente, une sorte de porche griffonné à la va vite, puis un portrait. C'était le dessin le plus détaillé, comme si Arwen avait été marquée par ce visage. Une petite fille, manifestement brune, occupait le centre de la feuille et constituait à la fois le dessin le plus gros et le plus détaillé. Seika tiqua. Si il se laissait aller, il trouvait que la petite fille ressemblait un peu à la jeune fille. Et peut-être même plus qu'un peu. Cependant, il ne lui en parlerait pas, à moins qu'elle ne le fît. Cela risquait de la perturber plus qu'elle ne le serait déjà.

Le temps de la vision ne dura que quelques minutes. Mais des jours auraient pu passer sans que Seika n'en sentît la différence. On avait mille fois le temps de mourir, pendant ce court laps de temps. D'ailleurs... Les visions d'Arwen représentaient-elles un risque physique ? Et psychologiquement, risquait-elle de perdre la raison ? Il savait très bien que la jeune fille avait de quoi être traumatisée, mais cela pouvait-il aller plus loin ? Il espérait que non, bien entendu.

Il serrait toujours Arwen contre lui -la tenant par la taille, cette fois- lui caressant les cheveux, lorsqu'elle se redressa, comme si elle se réveillait en sursaut d'un cauchemar, des larmes dégoulinant le long de ses joues. Son regard était perdu, empli de détresse. Elle jeta un oeil à son calepin avant de regarder son entourage, comme si elle voulait reprendre ses repères. Seika la prit doucement par les épaules, emmena sa tête dans le creux de son cou, lui caressa de nouveau les cheveux, tout en gardant une main apaisante dans le dos de la jeune fille.

Je suis là, répétait-il inlassablement. Ne t'en fais pas, je suis là.

Il n'avait aucune idée de ce que représentaient ces dessins aux yeux de la jeune fille, et il allait bien se garder de le lui demander, par peur d'être indiscret. Il ne voulait surtout pas remuer le couteau dans la plaie. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était s'emplir de calme et essayer de le communiquer à la jeune fille aux airs d'ange, espérant ainsi l'apaiser.

Ce fut cette odeur particulière et cette douceur qui la ramenèrent dans mon présent. Elle regrettait de mouiller les vêtements de Seika à cause de ses larmes, elle se trouvait bien pitoyable d'être comme cela face à un homme. Sa respiration était saccadée alors qu'elle reprenait doucement contenance dans ses bras, assimilant les paroles réconfortantes qu'il lui murmurait à l'oreille.

"Je suis désolée." déclara-t-elle la voix cassée.

Elle regarda son petit cahier ouvert, et le ferma d'une main sans bouger de là où Seika l'avait mise. À crois qu'il savait déjà que son corps rassurait toute femme ayant besoin de soutient. Il était bien musclé, et d'une patience douce qui la rendait douce. C'était comme s'il avait le pouvoir de l'attendrir de par sa nature.

"Au moins cette vision là ne viendra plus me hanter." expliqua-t-elle alors que sa main s'agrippait au haut de Seika.

"Lorsque je ne les dessine pas, ou que je ne les peint pas, elles reviennent. Ça revient tout le temps, jusqu'à ce que je trouve le moyen de m'en débarrasser. Je n'arrive plus à mettre mon bouclier..." termina-t-elle avec un soupçon de détresse dans la voix.

Le bouclier était la seule chose qui rendait son esprit hermétique à l'horreur de l'histoire du monde. Mais elle était trop fatiguée, trop pleine d'émotions pour arriver à le remettre. Mais en général, après les pires visions elle restait tranquille une ou deux heures avant que des visions légèrement moins pires ne viennent la harceler.

"Je te remercie d'être là Seika, merci d'être là."

Elle regardait horrifiée ce carnet aux horreurs, celui qui abritait certaines de ses visions depuis des semaines, voir des mois. Elle se disait qu'elle n'avait même pas le courage d'empêcher Seika de le regarder si jamais il en avait l'envie, et pourtant elle aimerait le préserver de tout cela.

Seika ne disait rien. Il laissait Arwen parler, estimant qu'elle devait en avoir besoin. Il savait très bien ce que c'était que d'être utilisé par ses pouvoirs. Ceux d'Arwen la hantaient par la vue, les siens lui infligeaient une douleur physique. Il n'était sans doute pas capable de la comprendre, il le savait, mais il voulait essayer, faire de son mieux pour elle. Il commençait donc par la laisser parler, en l'écoutant, et en la serrant contre lui. Il ne la serrait pas trop fort, juste assez pour qu'elle susse qu'il était là, près d'elle, et qu'il ne la lâcherait pas, jamais s'il le fallait. Il la maintenait contre son coeur qui battait à vive allure, lui caressant les cheveux, puis la joue.

Il la tenait dans ses bras comme pour l'abriter -mais n'était-ce pas ce qu'il faisait ? Il l'abritait de tout e dont il avait le pouvoir de l'abriter, la protégeant des menaces de la nuit, de celle du jour -des jours- à venir, peut-être même des semaines, des mois, voire des années à venir. La seule chose dont il ne pouvait la protéger, c'était eux deux, elle et lui. Il ne pouvait pas la protéger d'elle-même, ce qui incluait ses pouvoirs, ni de lui, sauf en s'éloignant, et en l'exposant à tout le reste. Mais il préférait ne pas y penser, il n'était pas une menace. Pas pour le moment, et il espérait de jamais en devenir une.

Il n'avait jamais été aussi proche d'un être humain, physiquement, surtout pas d'une femme. Mise à part sa nourrice dont il se souvenait à peine, il n'avait jamais été en contact avec une femme. Et il n'en chérissait que plus cet instant, avec Arwen. Il avait l'impression qu'elle était lui et qu'il était elle. Il ne comprenait pas sa souffrance, de par sa nature, mais il la ressentait, et il voulait la protéger, pour qu'elle ne la ressente plus. Jamais. Il voulait que ses pouvoirs soient source de sérénité, de bonheur, ou, à défaut, de rien du tout, de pure indifférence. Mais il ne pouvait pas y changer quoi que ce fût. Il n'avait pas ce pouvoir. Seika ne pouvait que faire de son mieux pour qu'elle allât mieux. C'était tout, c'était peu. Mais c'était, et i s'appliquait à ce que ce fût.

Il créa une bulle osseuse autour d'eux, perforée de minuscules trous qui la fragilisaient à peine pour qu'ils pussent respirer. Là, ils étaient en sécurité. L'avantage avec ses masses osseuses, c'était que lorsqu'elles étaient là, il n'avait pas besoin d'air dessus, sauf si il voulait les manipuler. Il dépensait donc de l'énergie uniquement pour les créer. L'os était lisse, et ils étaient dans une obscurité parfaite. Et pourtant, Seika voyait Arwen comme en plein jour, tant son image l'avait marqué. Il continua son mouvement de caresses jusque sous le menton où il s'arrêta. Puis il lui répondit en l'embrassant de nouveau, doucement, ses lèvres effleurant celles de la jeune fille.

Seika avait hésité avant de reproduire ce geste, mais lui seul pouvait exprimer ce qu'il ressentait. il n'aurait jamais pu trouver les mots justes pour l'exprimer à sa brunette. Alors il s'était exprimé avec le corps, comme il le pouvait. Seulement, il ne pouvait pas la serrer plus fort, elle risquer d'avoir mal, alors il y ajoutait d'autres gestes -les caresses sur les cheveux et la joue, puis le baiser. Et encore à ce moment là, cela lui paraissait bien peu comparé à ce qu'il voulait exprimer. Mais il ne voyait pas d'autre solution...

Arwen resta silencieuse en voyant cette espèce de bulle l'entourer. Pas qu'elle fut claustrophobe en générale, mais elle était mal à l'aise lorsque ce n'était pas elle qui maîtrisait son environnement, bien qu'elle était incapable d'erriger ses barrières mentales pour l'instant. Pourquoi fallait-il toujours que l'histoire noire des gens, d'un peuple, d'une contrée, s'ouvre à ses yeux ? Elle avait vue tellement de choses qu'elle pourrait en faire des recueils, comme une dessinatrice de bande dessinées qui ordonnait chaque planches pour que cela fisse une histoire. Arwen n'avait pas vraiment le choix que de subir ses visions, c'était comme si l'histoire devait être connue de quelqu'un.

Mais alors pourquoi elle ? Et pourquoi seulement les mauvais souvenirs ? Elle en avait plus que marre de voir du sang, la mort, la souffrance, la destruction et le désespoir. Pas que cela ne la rendit insensible, mais plutôt elle en avait marre de voir toujours les mêmes paysages désastres. Rien ne lui échappait, que ce soit de la catastrophe naturelle jusqu'à une mission commando top-secrète, ou même le petit crime du village de paysans le plus éloignés du monde. En y repensant, elle pourrait animer la rubrique nécrologique d'un journal, ou alors un magazine entier basé sur l'histoire du monde. Seules les lèvres de Seika purent à cet instant la ramener dans son monde.

Il lui arrivait des fois de perdre connaissance, de ne plus se rappeler de quel espace temps elle venait. Cela lui était arrivé de ne plus reconnaître son chez-soi, et même en se réveillant d'un cauchemar, de ne plus reconnaître même Chiba. Chiba... Elle eut cette morsure au coeur, tant le scrupule était grand de le tromper ainsi. Mais qu'y pouvait-elle ? Avec lui, cela battait de l'aile, alors qu'avec Seika elle se sentait protégée. Comment allait-elle pouvoir cacher cela ? D'autant plus qu'ils partageaient tout deux des informations par la pensée, leur télépathie était surprenante, mais maintenant elle était dangereuse.

"Je suis désolée que tu me vois dans cet état. Je me sens tellement... Tellement pitoyable à cause de ce don, parfois je me perds, je ne sais plus qui je suis, je ne reconnais plus avec qui je suis. Je sais que j'ai l'air peut être un peu monstrueuse avec ce don."

Sur ces paroles, elle cacha son visage dans le cou de Seika, et inconsciemment, elle adora l'odeur qu'il dégageait. Elle n'avait de cesse de respirer cette senteur, bénir son existence, elle pouvait se calmer grâce à cela, et même mieux : elle était détendue et sans aucune appréhension dans les bras d'un homme. D'habitude, Chiba ne la mettait jamais entièrement à l'aise. Elle regrettait maintenant, les joies du premier amour avaient cédées place aux ennuies et aux troubles. Mais elle ne voulait pas comparer Seika et Chiba, les deux étaient très différents ! Bien qu'elle eut sa grande préférence pour le grand jeune homme qui la tenait dans ses bras maintenant. Elle en soupira d'aise.

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